Date : 06/01/2012
Le centre régional de lutte contre le cancer, à Bordeaux, était approvisionné par PIP. Des prothèses ont déjà été retirées à 40 malades, 50 autres le seront bientôt.
C'est presque une affaire dans l'affaire. Ou une sorte de double peine funeste pour environ 6 000 femmes au sujet desquelles on découvre que, soignées pour un cancer du sein, elles se sont retrouvées, au terme d'une chirurgie réparatrice, avec des implants mammaires venus de chez PIP.
En effet, comme l'a révélé « Le Figaro » hier sur son site, les centres de lutte contre le cancer de France ont bien utilisé des prothèses mammaires fournies par le fabricant varois PIP, aujourd'hui liquidé et au coeur d'un scandale planétaire. Président de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC) et directeur général de l'institut Bergonié de Bordeaux (centre régional de lutte contre le cancer), le professeur Josy Reiffers nous a confirmé l'information dès hier après-midi.
Le chirurgien Christian Marinetti, président d'une clinique marseillaise de chirurgie esthétique, a affirmé hier avoir alerté par courriel dès 2008 l'Agence des produits de santé (Afssaps) après avoir constaté un taux anormal de ruptures des prothèses mammaires PIP.
Dans le même temps, la clinique a arrêté d'utiliser les implants mammaires de PIP, lui renvoyant le stock.
« Comme rien ne se passait, poursuit Christian Marinetti, j'ai téléphoné (à l'Afssaps). J'ai dit : "Nous avons un problème sévère, je tiens à votre disposition les implants rompus pour l'analyse du silicone. Nous voulons savoir ce que nous avons introduit dans le corps des patientes". »
« 2009 arrive [...] j'envoie un recommandé en octobre au directeur de l'Afssaps, en lui demandant expressément de faire quelque chose. Est-ce que nous devons convoquer toutes les patientes, les surveiller les explanter d'office ? », demande-t-il. L'Agence a réagi en février 2010.
Comme 16 autres centres anticancer en France, l'Institut Bergonié avait bien PIP comme fournisseur d'implants mammaires. Tous les centres sont en fait approvisionnés par une centrale d'achats commune, qui avait sélectionné PIP, apparemment depuis un appel d'offres passé en 2008. Le marché avec l'entreprise varoise avait été rompu en mars 2010, « avant même que les autorités sanitaires aient émis les premières alertes, car il y avait des problèmes de fuite du gel », précise Josy Reiffers.
Selon lui, les produits PIP ont commencé à donner des signes de faiblesse assez rapidement. Fin 2009, les centres anticancer avaient signalé des suintements. Le fabricant en aurait été informé aussitôt, « mais il n'a pas apporté de réponse satisfaisante », poursuit le professeur Reiffers. Les autorités sanitaires françaises auraient également été saisies, à la même époque. C'est dans ce contexte que le marché avec PIP pour la fourniture d'implants mammaires aux centres régionaux de lutte contre le cancer a été suspendu, en mars 2010.
Le mois suivant, en avril 2010, le centre anticancer de Bordeaux avait adressé un courrier à 106 patients ayant subi une implantation mammaire avec des prothèses PIP leur demandant de se faire connaître. Des examens avaient alors été pratiqués, débouchant sur l'explantation (le fait de retirer un implant) des prothèses pour 40 femmes soignées à Bergonié. « Les autres sont sous surveillance », précise Josy Reiffers. À ce jour, une cinquantaine de femmes doivent encore être suivies par l'institut pour une explantation de prothèses.
Hier soir, Josy Reiffers se voulait rassurant : « Les implants mammaires liés à une chirurgie dans le cadre d'un cancer du sein, c'est quelque chose de très minoritaire. Dans 80 % des cas, les implants sont liés à de la chirurgie esthétique. La chirurgie réparatrice ne représente que 20 % du total et, là-dessus, les centres anticancéreux représentent seulement la moitié de l'activité. De plus, nous n'avons eu recours aux prothèses PIP que sur une période courte, entre 2008 et 2010. Aujourd'hui nous travaillons avec d'autres produits dont le gel est contrôlé. »
Josy Reiffers ajoute que, à ce jour, aucun lien n'est établi entre le gel et un éventuel cancer. De fait, aucun cas de cancer lié à la rupture d'un implant n'a été constaté. Il y aurait ainsi 20 cas de cancer en France chez des femmes porteuses de prothèses PIP, sans qu'un lien de causalité puisse être établi. Enfin, la FNCLCC étudie la possibilité de se constituer partie civile dans le cadre de l'affaire PIP.
Hier soir, le médecin bordelais Dominique-Michel Courtois, expert de l'association PPP (1 400 femmes), qui a déposé plainte au TGI de Marseille contre PIP, et membre du comité de suivi monté par le ministère de la Santé, ne se déclarait pas surpris :
« Je savais que les centres anticancéreux avaient été approvisionnés par PIP, ce qui était logique. Ces produits étaient peut-être moins chers que les autres. On estime que 6 000 femmes ont eu de la chirurgie réparatrice avec PIP. Ce qui est plus inquiétant, c'est la logistique hospitalière qu'il va falloir mettre en place pour traiter les 27 000 femmes porteuses de prothèses avant fin 2012. Cela ne va pas être facile, mais il faut absolument le faire avec ce que l'on sait sur la composition du gel, qui est très irritant et peut se diffuser dans les tissus. Je sors [NDLR : hier soir] d'une réunion du comité de suivi [lire ci-dessous], et le doute n'est plus possible : il faut enlever toutes les prothèses. »
Jean-Claude Mas, fondateur de la société de prothèses mammaires PIP, a assumé devant les enquêteurs, sans aucun regret apparent, avoir produit un gel de silicone non homologué, issu d'une formule de sa production et dissimulé à l'organisme certificateur.
« Je le savais que ce gel n'était pas homologué, mais je l'ai sciemment fait car le gel PIP était moins cher, et rapport qualité-prix c'était moins cher et de bien meilleure qualité », a expliqué M. Mas en octobre aux gendarmes marseillais, selon un PV de garde à vue consulté par l'AFP et dont les extraits ont été révélés hier soir.
« Je l'ai toujours su », dit-il encore quand on lui fait remarquer que ces produits n'étaient pas conformes à la norme. Le fondateur de PIP explique que « dès 1993 », soit deux ans seulement après la création de la société, il « donne l'ordre de dissimuler la vérité » à l'organisme certificateur allemand TÜV, des années avant la mise sur le marché des implants aujourd'hui incriminés.
« C'était de la routine, je donne l'ordre de dissimuler tous documents ayant trait au gel PIP non homologué, et concernant les containers, les employés se débrouillaient pour les faire disparaître », explique-t-il. PIP avise TÜV des modifications de packaging par exemple. Mais pas de celles concernant le gel « car il n'est pas concerné, vu qu'il n'existe pas : il n'a pas une existence légale ».
Ce gel PIP ? « Une base de formulation du docteur Arion (chirurgien varois que M. Mas rencontre dans les années 80, NDLR), que j'ai améliorée en changeant les températures, les pourcentages (de produits introduits), afin de rendre le produit plus cohésif. » Une formule non brevetée, « car ça ne sert à rien », ajoute M. Mas.
Pour lui, ses prothèses ne présentent « aucun risque pour la santé ». Quant aux victimes, « il s'agit de personnes fragiles ou de personnes qui font ça que pour le fric », commente-t-il.
Source : Sud ouest - PIP fournissait aussi l'Institut Bergonié